CPI/ Laurent Gbagbo aux obsèques de sa mère ? - Me Josette Kadji, avocate à la CPI: " la Cour peut lui accorder cette permission. Il y a déjà eu des précédents, notamment en qui concerne Jean-Pierre Bemba qui a pu se rendre en Belgique à deux reprises"

Par Autre presse - Laurent Gbagbo aux obsèques de sa mère ? - Me Josette Kadji, avocate à la CPI: " la Cour peut lui accorder cette permission. Il y a déjà eu des précédents, notamment en qui concerne Jean-Pierre Bemba qui a pu se rendre en Belgique à deux reprises pour l’enterrement de ses parents".

Me Josette Kadji, Avocate agréée à la Cour Pénale Internationale de La Haye.

Avocate agréée à la Cour Pénale Internationale de La Haye, la Camerounaise Josette Kadji intervient depuis des lustres au Tribunal Pénal International pour le Rwanda à Arusha. Elle analyse l’éventualité d’un voyage du Président Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire pour les obsèques sa mère décédée récemment.

Jean-Marc Soboth: Voilà un événement inattendu qui survient après la confirmation des charges contre le président Laurent Gbagbo en juin dernier à Cour Pénale Internationale : le décès subit de «Maman» Marguerite Gado, mère de l’ancien chef d’État, à Yamoussoukro, dès son retour d’exil, mercredi 15 octobre 2014. Et déjà un débat passionné sur l’éventuel voyage de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire en cette occasion est lancé dans les médias internationaux? La CPI a-t-elle le droit de libérer un détenu pour des obsèques ou de refuser de le libérer ?

Maître Josette Kadji: Tout d’abord il ne s’agit nullement d’une libération, mais d’une permission de sortie qui pourrait être donnée au Président Gbagbo pour aller assister aux obsèques de sa mère…

JMS: Existe-t-il une disposition particulière de la Cour qui autorise la CPI à accorder une permission à un détenu?

Me JK: Si le Président Gbagbo en fait la demande, la Cour peut lui accorder cette permission. Il y a déjà eu des précédents, notamment en qui concerne Jean-Pierre Bemba qui a pu se rendre en Belgique à deux reprises pour l’enterrement de ses parents. Ce n’est pas une exigence légale et ce n’est pas non plus une procédure prévue par le Règlement de preuve et de procédure de la CPI. Ce genre de décision tire son fondement du principe de la socialisation de la Justice.

Jean-Marc Soboth: On imagine que le bureau de la Procureure Fatou Bensouda va s’y opposer en excipant un argument déjà évoqué surabondamment, à savoir le risque lié à une participation de Laurent Gbagbo aux obsèques de sa mère dans un pays où il demeure sans doute le plus populaire. Cette éventualité vous laisse-t-elle néanmoins optimiste ?

Me JK: Il est évident que Bensouda va s’y opposer en arguant de possibilités d’émeutes et autres troubles à l’ordre public. Aux juges de prendre leurs responsabilités.

Jean-Marc Soboth: Quelles sont les conditions liées à un tel voyage? Comment va-t-on empêcher un détenu de s’exprimer publiquement devant les siens, en usant même de petites phrases ?

Me JK: Ce sont certainement les conditions liées à ce genre de permission qui vont peut être empêcher le Président Gbagbo de faire une telle demande. En plus de la charge financière, tout est à sa charge. Le Président Gbagbo devra être remis aux autorités ivoiriennes, en l’occurrence le Procureur de la République. Je me demande si cela est prudent. Cependant, on ne peut lui interdire de prendre la parole lors des obsèques de sa mère.

Jean-Marc Soboth: Le régime ivoirien dont nous imaginons qu’il est en ce moment le plus frileux face à ce développement de l’actualité dispose-t-il de moyens de pression sur la Cour pour empêcher un tel voyage?

Me JK: L’avis de la Côte d’Ivoire va être bien évidemment requis lors de l’étude d’une telle demande. Et le gouvernement pourra exciper un risque de trouble à l’ordre public pour s’opposer à cela.

JMS: Quelle est la durée maximale du séjour d’un détenu en permission pour un tel événement dans son pays ?

Me JK: Il n’y a pas de durée préfixée. En général, c’est juste pour la cérémonie, donc relativement court.

JMS: Le comportement de Laurent Gbagbo au cours des obsèques – au cas où il obtiendrait une permission de la CPI – pourrait-il avoir une incidence sur la suite du procès?

Me JK: Là je ne peux que faire des supputations. Comme vous le savez, la mise en liberté provisoire du Président Gbagbo a été à plusieurs reprises refusée pour « la popularité qui est la sienne» et qui pourrait créer des troubles. Donc s’il y a de gros mouvements de foule liés à sa présence en Côte d’Ivoire, cela ne fera que conforter cette position de la Cour.

JMS: Que pensez-vous de la récente plaidoirie de Charles Blé Goudé devant les juges de la CP, laquelle a largement remis sur la sellette nombre de doutes soulevés par le cas de Laurent Gbagbo sur la crédibilité de la poursuite? Quelle pourrait être l’attitude du jury face à ses arguments dont on se passe de commentaire ?

Me JK: Très bon plaidoyer. Mais il n’y a pas de jury devant la CPI. Est-ce que le collège des juges en tiendra compte ? Wait and see.

JMS: Comment se présenterait la suite du procès Laurent Gbagbo à La Haye? Ses proches et conseils ont beaucoup évoqué le rapport de force international sur le cours du procès. Quelle pourrait être la part des puissances qui ont initié ces «ingérences humanitaires» meurtrières en Afrique en 2011 avec le concours de l’ONU?

Me JK: Tout ce que je vais rappeler ici c’est qu’il s’agit d’un tribunal mis en place par l’ONU. Les juges sont nommés par l’ONU. Les fonds du tribunal viennent de l’ONU qui, elle-même, les reçoit de certaines de ces Nations qui, tout en insistant pour que la CPI exerce des poursuites sur des chefs d’État uniquement africains jusqu’alors, se sont bien gardées de ratifier le Traité de Rome! Ce tribunal de mon point de vue a raté la mission qui était à l’origine de sa création et est éminemment politique maintenant.

JMS: Les détenus de la CPI ont-ils le droit de se documenter, d’écrire et de publier des livres ou bien sont-ils tenus par une sorte de secret de l’information judiciaire ?

Me JK: A priori il n’y a rien qui empêche un détenu d’écrire et de publier un ouvrage. Cela s’est souvent vu notamment en ce qui concerne les personnes poursuivies devant le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR). L’ancien Premier ministre Kabamda en est un exemple.

Propos recueillis par Jean-Marc Soboth, journaliste

NB: Le titre est de la rédaction.

JEAN PIERRE BEMBA AUX OBSEQUES DE SON PERE