Côte d’Ivoire / Crimes postlélectoraux : Des chefs de commandements et de guerre pro-Ouattara auditionnés. Voici les concernés

Par L'Inter - La CPI se remet en selle avec des mandats d’arrêt. Des chefs de commandements et de guerre pro-Ouattara auditionnés. Voici les concernés.

Fatou Bensouda et Alassane Ouattara. Image d'archives.

La Cellule spéciale d’enquête et d’instruction (Csei) est à la manœuvre. Créée pour mener les enquêtes et instructions pour les crimes commis lors de la crise postélectorale, la Csei vient d’auditionner des ex-responsables de commandements des unités de sécurité et des ex-chefs de guerre pendant la crise postélectorale. Ces auditions qui ont été faites dans la stricte discrétion, ont porté sur des faits allégués de crimes de guerre, viols, crimes de génocide et de sang commis entre octobre 2010 et mai 2011. Au nombre des personnes auditionnées, des noms reviennent selon des sources concordantes. L’on relève deux ex-patrons de l’Armée ivoirienne, à savoir l’ex-chef d’État-major, le Général de corps d’armée Philippe Mangou, actuellement Ambassadeur au Gabon, et l’ex-Commandant supérieur de la Gendarmerie nationale, le Général Edouard Kassaraté Tiapé, actuel chef de la représentation diplomatique ivoirienne au Sénégal. Des ex-chefs de guerre, ayant participé aux combats qui ont abouti à la chute de l’ancien régime, sont également cités. Il s’agit notamment du colonel Issiaka Ouattara (Wattao) et Fofié Kouakou Martin. Les proches collaborateurs de Wattao ont déjà réagi à la question. L’un de ses collaborateurs a démenti l’information de l’audition de son chef, arguant que celui-ci n’a pas été auditionné dans une quelconque procédure. « Il était venu du Maroc pour la fête et les funérailles d’un parent proche. Il s’est rendu à Bouna, deux jours après son retour, et revenu à Abidjan, il n’a fait que quelques jours avant de repartir au Maroc. J’étais avec lui tout ce temps,et nullement il n’a été auditionné », a indiqué ce proche collaborateur du colonel Wattao. Qu’à cela ne tienne, nos sources citent également les ex-commandants de zone de Man, Losseni Fofana, de Duékoué, Koné Daouda alias Konda, de Bangolo et de Kouibly, les lieutenants Dramane Traoré et Coulibaly. Ces derniers doivent particulièrement leur audition aux accusations portées contre eux par un des ex-seigneurs de guerre de l’Ouest, arrêté en mai 2013, Amadé Ouérmi, relativement aux massacres du quartier ”Carrefour” de Duékoué. En effet, dans le rapport conjoint de la Fédération internationale des Ligues de défense des droits de l’Homme (Fidh), du Mouvement ivoirien des droits humains (Midh) et de la Ligue ivoirienne des droits de l’Homme (Lidho), publié le 11 décembre 2014, il est indiqué que l’ex-seigneur de guerre basé dans le Mont Péko avait livré ces chefs militaires des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci) dont le plus connu est le Commandant Losseni Fofana dit Loss. 18 mois après son arrestation, Amadé Ourémi a soutenu, lors de son interrogatoire, qu’il commandait 126 combattants pro-Ouattara et prenait ses ordres auprès de la hiérarchie locale des Frci. «Amadé soutient que le Lieutenant Coulibaly, ex-Commandant de Kouibly, aujourd’hui chef militaire de la zone de Tabou, lui a livré des armes de guerre utilisées pendant la prise de la ville de Duékoué sur instruction du Commandant Loss tout comme des tenues militaires utilisées qui provenaient de la ville de Man à l’Ouest où était basé ce dernier. Amadé se battait aux côtés du lieutenant Dramane Traoré, responsable militaire de Bangolo. Il avait auprès de lui le Lieutenant Nadia Koné et tous recevaient leurs ordres directs du Commandant Loss, responsable de la zone Ouest pendant la crise et qui dirige désormais la Brigade de sécurisation de l’Ouest (Bso)», instruit le rapport.

L’obligation de rendre compte par tous en marche…

«Nous dénoncions que l’arrestation et l’inculpation d’Amadé Ouérimi, qui est un supplétif des Frci donc un combattant pro-Ouattara, soient restées sans suite alors que cette procédure qui constituait la première mise en cause d’un élément des forces proches du président Alassane Ouattara dans le conflit postélectoral de 2010-2011, avait fini par donner l’impression que la Justice ivoirienne était désormais prête à juger les auteurs de crimes dans les deux camps. En tout cas, toutes les informations transmises par Amadé Ouérimi à la justice devraient amener les mis en cause à venir s’expliquer devant la justice. Selon des informations très confidentielles qui nous parviennent, c’est ce qui est en train d’être fait avec les auditions en cours actuellement », a commenté Adjoumani Pierre Kouamé, président de la Lidho. Puis de saluer « des progrès en cours vers la justice largement à sens unique ». Un autre activiste des Droits de l’Homme, en l’occurrence Me Hervé Gouamené, président par intérim de la Fidhop, n’a pas cette opinion. « C’est vrai que des informations strictement confidentielles circulent sur l’identité des présumés responsables de crimes du camp Ouattara qui ont été interrogés par la cellule spéciale d’enquête. Mais, pour nous, ce n’est pas un pas majeur dans le sens de la justice pour toutes les victimes. Ces vrais pas, ce sont l’arrestation et l’inculpation pour déboucher sur des procès crédibles. Sinon, une chose est d’auditionner, une autre est de donner une suite au dossier. Ils ont été seulement auditionnés et nous ne savons pas à quel titre. Nous ne savons pas si c’est en qualité de témoins ou de prévenus. C’est là le hic », a-t-il souligné. Avant de se plaindre de ce que les personnes auditionnées n’aient pas été entendues pour être inculpées. «Vous remarquerez que tous ceux qui ont été auditionnés, qui sont majoritairement des pro-Ouattara régulièrement cités dans les différents rapports des organisations de droits de l’Homme, sont tous repartis libres. On en déduit que c’était pour donner leur avis sur des faits commis par les différentes forces qui étaient sous leurs commandements. Ils n’ont pas été entendus comme des personnes à inculper. C’était juste pour avoir des informations. La preuve, après les auditions, il n’y a pas de mis en examen. Chacun est reparti libre. Wattao qui était rentré au pays, est reparti au Maroc. Ce que je sais, c’est qu’ils ont été auditionnés, mais je ne sais si c’est en qualité de témoins ou d’inculpés. Ils peuvent être entendus comme simples témoins ou bien comme tout sachant. Ces auditions ne sont pas une grande avancée dans la justice impartiale », a souligné Me Gouaméné, qui est membre du staff des avocats commis à la défense de l’ex-président Laurent Gbagbo, de son épouse Simone et des autres pro-Gbagbo récemment jugés en assises à Abidjan. «C’est sensible. C’est tellement sensible que l’audition, qui est la première étape, ne peut que se faire très discrètement. On ne peut pas immédiatement procéder à des mis en examen. La cellule spéciale doit donner des assurances aux personnes sollicitées pour les auditions pour éviter que la procédure débouche sur des troubles. Il faut aller pas à pas», a réagi, sous couvert de l’anonymat, un membre de la Commission nationale des droits de l’Homme (Cndhci) proche du dossier. Ce dernier ajoute qu’il faut patienter pour avoir « un message plus fort d’Abidjan». Avec les auditions entamées par la Csei, dont la mise en place a été appréciée par Human rights watch comme ”une mesure importante en faveur de l’obligation de rendre des comptes pour les atrocités post-électorales commises dans le pays”, le pouvoir d’Abidjan envoie un message fort à la Cour pénale internationale (Cpi). C’est, en effet, un feu vert qui est donné en faveur de l’obligation de rendre compte pour tous les auteurs de faits allégués de crimes post-électoraux. Et ce, conformément à la volonté du président ivoirien de mettre la justice au cœur du processus de réconciliation et rompre avec l’héritage d’impunité laissé par les régimes précédents.

Abidjan coupe l’herbe sous le pied de Bensouda

Le président Ouattara estime que seul les actions de la Justice répressive et réparatrice pourront mettre fin à l’impunité et aux répétitions des crimes graves en Côte d’Ivoire. Il l’a d’ailleurs réaffirmé face aux victimes d’Abobo, samedi dernier. «Nous allons les juger tous en Côte d’Ivoire», avait-il signifié. Selon des analystes, ce discours donne, conformément au statut de Rome ratifié par Abidjan, la primauté à la Justice nationale d’instruire les crimes postélectoraux et d’en poursuivre les auteurs. Les auditions de pro-Ouattara, sont étroitement liées aux informations en provenance de La Haye. Le pouvoir en place chercherait donc à couper l’herbe sous les pieds de la procureure Fatou Bensouda, qui, selon des confidences d’activistes des droits humains très introduits à la Cpi, aurait déjà sur sa table cinq mandats d’arrêts contre des pro-Ouattara. L’institution judiciaire internationale mettrait donc la pression pour le transfèrement de Simone Gbagbo pour que le gouvernement ivoirien se retrouve dos au mur et n’ait pas de motif pour ne pas transférer ceux de ses proches visés par les mandats déjà prêts. Son seul répit, l’approche du scrutin présidentiel. Le parquet international serait coincé par l’opportunité de dévoiler et de lancer ces mandats à un moment où le pays est à quelques mois d’un nouveau scrutin présidentiel redouté. Dans un entretien accordé à Ivoire justice/radio Pays-Bas internationale, un collaborateur de Fatou Bensouda, à savoir Pascal Turlan, levait le lièvre. «Dans la planification des activités d’enquête, le procureur doit tenir compte des impératifs de sécurité pour toutes les personnes impliquées. Rendre publics les résultats de ces enquêtes ou poser un acte tel qu’une demande de mandat d’arrêt le jour des élections n’aurait pas beaucoup de sens et n’irait pas dans le sens d’une bonne administration de la justice ». Voilà qui est on ne peut plus clair. Le pouvoir ivoirien est d’accord avec Daniel Békélé, responsable de la division Afrique de l’organisation Human ritghs watch que «les victimes des crimes graves commis par les vainqueurs (les Forces républicaines) lors de la crise post-électorale méritent de voir la justice rendue». Mais, tout porte à croire que des poursuites judiciaires contre eux avant les élections de 2015, que ce soient à Abidjan ou à La Haye, semblent, pour l’heure, exclues. Même si l’épée de Damoclès plane sur leurs têtes.

TRAORE Tié